Le site de l'Embournière (Neffiès, Hérault)

Au printemps et pendant l’été 2017, un atelier de potiers gallo-romain a été fouillé, à la demande du SRA Occitanie (DRAC/MCC) au lieu-dit Embournière à Neffiès (Hérault) par une équipe de l’UMR5140/LabEx Archimede Montpellier, sous la direction de Stéphane Mauné, Séverine Corbeel et Charlotte Carrato. Cette opération succède à un diagnostic mené en 2016 par l’Inrap.


Figure 1 vignetteLe site se trouve sur la berge de la Bayèle, affluent de la Peyne, au point de contact de la plaine et de reliefs volcaniques, dans une zone densément occupée pendant le Haut-Empire. À environ 250 m au sud a par ailleurs été fouillée partiellement, dans la seconde moitié du XIXe s. la pars rustica de la grande villa de la Vérune : outre des sols en béton de tuileau et des bassins vinicoles a été exploré un puits qui a livré une inscription funéraire relative à la gens Coelia, propriétaire de ce domaine au IIe s. ap. J.-C.


À Embournière, la fouille a permis de mettre au jour le cœur de la zone artisanale, constitué de plusieurs fours de types et de tailles forts différents. L’intérêt de cet atelier est de présenter une accumulation de niveaux archéologique pouvant dépasser le mètre, due à son implantation sur un terrain en pente, descendant vers la Bayèle toute proche.


Figure 2 vignetteLe secteur était déjà mis en culture au Ier s. av. J.-C. comme l’indique la découverte d’un long mur de terrasse et d’un sol cultivé situés sous les vestiges artisanaux.
C’est vers les années 20/30 ap. J.-C. que semble avoir été fondé l’atelier de potiers. Seuls subsistent de cette phase les vestiges très dégradés d’un premier four circulaire, un égout profondément bâti ainsi que des remblais destinés à niveler le terrain, riches en mobiliers archéologiques de toutes sortes. À cette époque, étaient fabriqués des matériaux de construction, en terre cuite, des amphores vinaires à fond plat de type « Gauloise 2 » et des Dr. 2-4 fuselée, imitations de modèles produits en Italie et en Espagne, à la même époque. Les potiers produisaient aussi de la céramique à pâte claire, cruches, pichets et gobelets, ainsi que des dolia, ces grandes jarres de 15 hectolitres destinées à la vinification. La fabrication de dolia constitue une découverte importante puisque jusqu’à présent, seul l’atelier de Saint-Bézard à Aspiran, fouillé en 2006 par la même équipe, en avait livré des témoignages probants.


Neffies, site de l'EmbournièreCes dolia locaux avaient déjà été repérés par C. Carrato sur plusieurs établissements vinicoles de la basse vallée de l’Hérault, en raison de l’aspect spécifique de leur pâte, et il désormais possible d’identifier leur centre émetteur. La production de dolia n’est pas une chose anodine et courante ; elle suppose un savoir-faire certain, un investissement conséquent et la présence d’une main-d’œuvre spécialisée. Elle est en règle général le fait de grands propriétaires souhaitant dégager des revenus financiers importants, grâce à cette activité, que l’on peut considérer comme préindustrielle.
Plusieurs exemplaires du timbre T. PAR RODANI sur amphores G.2 ont par ailleurs été découverts, à mettre en relation avec les exemplaires TPA.RODANI connus sur des Dr. 2-4 de l’atelier de Corneilhan, situé à une vingtaine de km à l’ouest. Il est possible que les deux ateliers aient entretenu d’intenses relations ou bien qu’ils aient appartenu au même propriétaire, un citoyen romain dénommé T(itus) Par(…) Rodanus. On tient là probablement avec ce nom, l’identité malheureusement partielle, d’un grand propriétaire rural d’époque julio-claudienne, de la colonie romaine de Béziers.


NeffiesUn four circulaire (FR3), très bien conservé, est ensuite installé dans les années 50/60 ap. J.-C. pour la cuisson de céramiques à pâte claire. L’atelier produit toujours des dolia, des matériaux de construction et surtout des amphores vinaires Gauloise 4. Un troisième four, de plan rectangulaire est construit à la fin du Ier s. ap. J.-C. confirmant le dynamisme de l’atelier.
À partir du premier quart du IIe s., les potiers ajoutent à leur répertoire des céramiques communes à pâte sableuse de type « Brune Orangée Biterroise » : bouilloires, plats, pots et imitations de marmites africaines d’un type totalement nouveau dans la région de Béziers. Cette céramique va être massivement diffusée dans la vallée de la Peyne, en particulier à l’Auribelle-Basse (Pézenas) où les fouilles réalisées entre 2000/2004 et à nouveau en 2015 en ont livré de très grandes quantités.
C’est probablement dans les décennies 120/150 ap. J.-C. qu’est construit, à l’emplacement du premier four de l’atelier, un très imposant four de plan rectangulaire, probablement utilisé pour la cuisson de dolia et d’amphores vinaires de type Gauloise 4. Avec une capacité de cuisson de plus de 130 m3, il s’agit assurément de l’un des plus grands fours actuellement connus dans les Gaules.
L’évolution de l’atelier est ensuite plus difficile à cerner à cause des perturbations, par les travaux agricoles, des niveaux archéologiques les plus hauts. Les remblais et les aménagements datés après le milieu du IIe s. semblent indiquer qu’il a continué de fonctionner pendant plusieurs générations. Pour finir, une halle de plus de 20 m de long,  perpendiculaire à l’accès du très grand four désaffecté, est installée. Le site n’a livré aucun élément de datation postérieur au second quart du IIIe s. et son évolution suit donc celle de la plupart des douze autres ateliers à amphores connus dans la moyenne vallée de l’Hérault.


NeffiesLa fouille d’Embournière enrichit le dossier déjà conséquent des ateliers de potiers de la cité de Béziers fournissant, pendant le Haut-Empire, les amphores mais aussi dans ce cas précis, les dolia indispensables à l’économie viti/vinicole alors en pleine expansion. Si bien évidemment, il convient de garder à l’esprit que d’autres activités agricoles contribuaient au développement des campagnes, à cette époque, il n’en demeure pas moins que la viticulture constitue, à cause des nombreux vestiges archéologiques qu’elle laisse, un formidable outil d’analyse pour appréhender la dynamique économique régionale sur la longue durée.
L’apport de cette opération est aussi de montrer qu’il existait des villae et des établissements ruraux situés à l’écart des grandes voies comme la Domitienne ou bien la voie Cessero-Saint-Thibéry/Luteva-Lodève/Condatomagos-Millau qui devaient tirer parti du réseau routier secondaire mais également des voies d’eau flottables comme la Bayèle et la Peyne, affluent de l’Hérault pour exporter leurs productions potières et leur vin. La proximité de massifs boisés peut également expliquer l’installation ici d’un atelier spécialisé dans la production de dolia et d’amphores vinaires car le combustible était, on le sait, une charge financière importante pour un atelier de potiers.